« Nous devons remettre du sens dans le parcours des obsèques »

Le témoignage du fondateur d’un service de pompes funèbres qui accompagne des milliers de familles sur le chemin du deuil.

Publié en
September
2021
Mis à jour en
May
2023
Par
inmemori
Récit
temps de lecture :
13 min
Sommaire
« Nous devons remettre du sens dans le parcours des obsèques »
Christian de Cacqueray, Service catholique des funérailles
Crédit photo : 

Vous confiez souvent être un passeur qui s'attache à remettre du sens dans le parcours des obsèques. Qu’est-ce-que cela signifie pour vous ?

Quel que soit le contexte culturel et l'époque que l'on évoque, du point de vue de la ritualité funéraire, il y a toujours eu un parcours qui est celui que franchit la dépouille mortuaire jusqu'à sa dernière demeure. Ce déplacement est inhérent aux obsèques et c'est sur ce déplacement et ses éventuelles étapes que se greffe toute la dimension de sens.

C'est un véritable parcours qu'il faut prendre dans sa globalité pour comprendre ce qui est à l'œuvre à l'intérieur de ceux qui ont à le vivre.

Ainsi, pour tous ceux qui vont y participer, ce parcours s’opère à trois niveaux :

  • Sur le plan psychologique, c’est le rituel qui va aider à prendre conscience de la réalité de la perte. Les familles sont à “vif” lorsque nous les accueillons parce que la nouvelle du deuil est une réalité qui suscite un choc, une sidération qui est une réaction d'incompréhension que tout être humain ressent à l'annonce d'une nouvelle inassumable.
  • Sur le plan anthropologique, cet événement intime et singulier leur permet de réaliser que ce qu’ils vivent s'inscrit dans un cadre plus étendu que leur histoire personnelle ou familiale, celle d'un groupe humain plus large.
  • La dimension spirituelle enfin, si bien résumée par Antonin Sertillanges "On croit que la mort crée une infinie distance, alors qu’elle supprime toute distance en ramenant à l’esprit ce qui se localisait dans la chair." Ce texte parle aussi d’un enjeu de liberté, c'est-à-dire que devant le corps mort, je peux choisir de croire qu'il est vivant autrement et continuer à vivre avec lui en communion d’esprit. Je suis aussi libre de choisir délibérément de penser que c'est fini et qu'il n'y aura plus rien.

Qui dit déplacement dit besoin de guide, d'où l'expression de passeur dont la première fonction consiste à sécuriser un passage qui n'est pas évident par nature. Il l’est d'autant moins que les gens ignorent pratiquement ce qui les attend [1] d'où le recours à des professionnels.

L'un des charismes du Service Catholique des Funérailles est de vivre pleinement cette qualité d'accompagnement dans la discrétion du passeur. Selon moi, ce qui compte dans la fonction du passeur, ce n'est pas la personne mais c'est le rôle qu'il joue. J’aime l'idée de son caractère très anonyme.

Justement, comment vos équipes font-elles pour toujours incarner cette juste discrétion du passeur ?

Nous partageons une direction commune, un objet commun qui est aussi la définition de notre métier si porteur de sens. Il s’agit de l'art de construire avec chaque famille, le parcours rituel le plus adapté à la situation qu'elle vit, au groupe humain qu’elle forme. Ça, c'est le cœur du métier.

Je tiens ici à apporter un éclairage sur ce qui en fait la déformation parfois. En effet, la prévalence de la logique marchande dans les prestations proposées aux familles endeuillées est l’objet de nombreuses polémiques. Le statut associatif et les fondements du Service Catholique des Funérailles nous permettent d’agir en tout état de liberté et d'indifférence par rapport à ce que la famille va choisir. Par ailleurs, l’objet même de notre mission est dans la construction de ce parcours car il constitue selon moi le socle de la ritualité.

La façon dont le proche va pouvoir revoir son défunt, le lieu, l’heure, le mode opératoire mais aussi, son état d’esprit… préparé pour ce moment ou à contrario pas du tout… Tout cela représente vraiment l'ADN du service et tous les collaborateurs du SCF y sont naturellement très sensibles.

Pas plus tard que tout à l’heure, une jeune femme que nous recevions fut prise par l’émotion voyant que le temps prévu pour l’adieu au visage de son mari était de 30 minutes. Elle se sentait à l'étroit dans la projection de cet événement et nous avons su l’entendre.

Tout ce que nous faisons, tout ce que nous produisons consiste à faciliter le regard, la concentration, l'élévation même, des gens que l’on accompagne vers l'essentiel.

À ce moment précis, l’essentiel réside dans la quête du sens de ce que les familles ont à vivre.

Racontez-nous ce que vous retenez de votre aventure d’entrepreneur depuis la création du SCF ?

J’ai été très inspiré par Jean-Baptiste de Foucauld qui disait “Quand on est initiateur de quelque chose, la première des exigences, c'est de prendre sa part et d'ouvrir la marche”. Cela m’a vraiment aidé au début à prendre conscience que c'était à moi d'accueillir les familles, ce qui n'était pas tout à fait mon projet de vie à la base. Le fait est que pendant quasiment 10 ans, je n'ai fait que recevoir des familles en deuil. Cela m’a permis d’éprouver la réalité charnelle de ce qui se passe sur ce parcours rituel et de la beauté de cette mission.

J’ai également récemment été contributeur d’un numéro spécial du Pèlerin intitulé "Les funérailles pas à pas". L'objectif était de proposer un livret qui rassemble sous la forme du récit imaginaire d’un décès, des informations permettant de préparer et de comprendre les démarches qui suivent la perte d’un proche. Rendre accessible ce parcours, permettre à chacun de se projeter me semble essentiel.

D'après vous, comment est-on arrivé à subir le déni de la mort et pourquoi les endeuillés se sentent-ils si seuls une fois les obsèques passées ?

Je pense que si le deuil ne parvient pas à trouver sa place dans la relation humaine, c’est avant tout parce qu’il fait peur.
Le long du parcours des funérailles, tout est mis en évidence, les proches sont là, il y a de nombreux échanges de paroles, de soutien, d'affection, de bénédictions, puis c’est le retour à la vie normale.
Passée cette étape donc, l'endeuillé ne bénéficie plus de ces marqueurs. Il lui faut donc refaire l'histoire pour que son deuil soit encore reconnu, et ça c'est épuisant !

Néanmoins, heureusement qu’il existe des espaces où cette parole peut s'exprimer, et je voulais rendre hommage ici à inmemori. C'est reconnaître les bienfaits de notre initiative commune mais rien ne précédait en la matière jusque-là. Nous collaborons à une œuvre qui est immense mais que nous ne suffisons évidemment pas à la réaliser pleinement. Cette œuvre consiste à renouer les liens sociaux dans cette période si importante de l'adieu aux personnes décédées. Le travail est loin d'être terminé, il y a beaucoup à faire.

Personnellement je pense que, même au moment du deuil, il y a des gens qui vont choisir le retrait par peur. Il y a tous ceux qui ne vont pas venir, tous ceux qui font le choix de ne pas s'associer ou seulement du bout des lèvres. Ce n'est pas par méchanceté ni par manque de cœur, c'est simplement qu'ils ne savent pas faire, qu'ils ont peur de déranger.
Il y a cette espèce de graduation dans l'ordre de l'intimité que les gens produisent assez volontiers qui est de dire : “Non mais là tu es d'accord, je ne vais pas y aller… enfin on se connaissait mais je l'ai pas vu depuis 3 ans ...”.
Il en résulte que toutes ces sortes de préventions, de freins à l'élan que l'on met vers les personnes en deuil, créent indéniablement de la distance.

C'est pourquoi, encore plus dans la période que nous vivons, j'ai envie de dire : “Allez vers les endeuillés, c'est vraiment une œuvre de miséricorde dans un monde où ils sont tellement isolés !".
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