Deuil périnatal : « J’ai accouché dans le cri de la vie et le silence de la mort »

Pendant sa grossesse, Gaelle a perdu un des deux bébés qu’elle attendait. Elle raconte la complexité de porter la mort et la vie en même temps.

Publié en
September
2021
Mis à jour en
May
2023
Par
inmemori
Récit
temps de lecture :
11 min
Sommaire
Deuil périnatal : « J’ai accouché dans le cri de la vie et le silence de la mort »
Gaëlle, fondatrice de Hespéranges
Crédit photo : 

Deux vies en moi, mon cœur en émoi

Le médecin nous reçoit. Son examen dure longtemps, très longtemps, trop longtemps. Il ne parle pas. Son visage est crispé. Mon coeur, mon corps, mes pensées, sont en tension. Le silence s’éternise. Enfin, il nous annonce que J1, (c’est ainsi que le corps médical appelle nos bébés, Jumeau 1 et Jumeau 2, J1 et J2), il nous annonce que J1 a un souci au niveau des pieds. Il a les pieds-bots. Un handicap assez lourd qui peut révéler d’autres malformations, voire une trisomie.

Nous sommes sonnés, étourdis par les paroles du médecin. Un flot d’émotions me submerge : des larmes, de la peur mêlée à de la peine et ce sentiment de basculer dans l’inconnu.

C’est l'épreuve du temps renversé : il y a quelques jours, je devais mobiliser des trésors de patience. Aujourd’hui, le temps est pressé, nous devons agir vite. L’amniocentèse a lieu un jeudi. C’est un examen très délicat. Le lundi midi, je reçois un appel de l’hôpital. On nous demande de venir en urgence, le jour même. J’appelle mon mari. Les minutes qui précèdent le rendez-vous sont interminables. Nous sommes assis dans une salle face à un médecin qui se fait le porte-parole d’une équipe pluridisciplinaire. Le message est clair : “J1 a une trisomie 21 et de multiples malformations. J2 semble aller bien mais ne peut pas se développer correctement en raison de l’excès du liquide amniotique”.

Nous avons le choix de faire une interruption sélective de grossesse pour arrêter le cœur de J1. Et laisser une chance à J2 de s’en sortir. Ou bien de ne rien faire et de risquer alors de perdre les deux bébés. Voilà ce que l’on peut faire. La décision nous appartient.

J’ai l'impression d’être dans une impasse terrible. Pour mon mari, c’est plus clair : nous devons arrêter le cœur d’un de nos bébés et espérer que notre autre bébé survive.

Un bébé mort dans le ventre et... la vie

J1 et J2, comme on les appelle dans le jargon médical, sont mes enfants, mes fils, mes bébés. Je les porte. Ils vivent en moi et avec moi. Je prends la décision la plus difficile de toute ma vie. Je signe ce papier qui autorise l’interruption de la vie in-utero de l’un de mes petits garçons. J’ai rendez-vous le 25 avril 2012. On nous installe dans une chambre. On m’habille en chemise de nuit d’hôpital, une charlotte sur la tête et des surchaussures en papier. On vient me chercher. Mon mari n’est pas autorisé à venir avec moi. On m’allonge sur une table. Il y a le médecin qui va faire “le geste” et des étudiants, me précise-t-on, qui viennent observer et apprendre. Je suis dans une sorte de brouillard. Je sais que ça va être le moment pour mon fils de partir et j’ai l’impression d’être au zoo, devant des inconnus qui me regardent. Je suis dans un état de stress extrême. On m’attache les mains pour que je ne bouge plus. Une sage-femme me caresse les cheveux pour essayer de m’apaiser.

Le geste du médecin doit être précis. J’essaie de respirer. J’ai envie de hurler. Je sens mon bébé bouger dans mon ventre, comme s’il se débattait. Le médecin termine en disant : “C’est fait”.

Je suis dévastée. On me ramène dans la chambre. Je n’arrive pas à regarder mon mari dans les yeux. J’ai l’impression d’être une meurtrière. J’ai conscience d’être dans une détresse intérieure immense. Nous n’échangeons aucune parole. Le médecin revient en fin de journée pour vérifier que le cœur du bébé soit arrêté. Je lui demande de tourner l’écran de mes yeux. “C’est bon dit-elle, vous pouvez rentrer chez vous”. Je m’effondre.

Sur le trajet du retour à la maison, je réalise que je porte en moi la mort et la vie.

Nous rencontrons la cadre sage-femme de la maternité.

Sa naissance socle notre séparation physique, sa mort certaine. Je me glisse dans une bulle et je me prépare à donner naissance à mes enfants.

On me suggère de ne pas le voir, son corps est abîmé. Hors de question qu’on ne respecte pas mon désir le plus profond. Mon cœur de Maman est sûr de lui.

La sage-femme m’amène Loris, les yeux clos, lové dans un petit nid d’ange vert clair. Je le trouve beau. Il ressemble à ses frères. Je lui murmure mon amour, ce temps de l’éternité nous appartient.

Nous sommes le 20 juin, j’ai accouché de mes enfants, dans le cri de la vie et le silence de la mort, je les aime tous les deux si fort.

Une association d'aide au deuil périnatal pour soutenir les parents qui perdent un bébé

Mon mari choisit un cercueil pour Loris, je signe les innombrables papiers administratifs. Nous veillons Manoé jour et nuit. Nous pouvons désormais le toucher, le prendre dans nos bras en peau à peau et lui raconter à lui aussi, nos flots d’émotions et son petit frère de jeu in-utero, mort un jour à côté de lui. Il connaît son histoire. Nous organisons une petite cérémonie au cimetière. Pour certains membres de nos familles, il est difficile d’être là. J’ai porté Loris, je l’ai senti vivre en moi. Les autres ne le connaissent pas.

Je respecte qu’on ne vive pas au même tempo que moi. J’ose dire néanmoins, à quel point c’est essentiel, dans ces moments de gouffre de chagrin, d’être épaulés, d’être entourés et que l’existence de notre enfant ne soit jamais niée.

Depuis quelques mois déjà, je passe du temps à lire sur Internet des témoignages de parents qui vivent des situations similaires à la nôtre. C’est si difficile de

Hier, le 20 juin 2021, comme tous les ans, était une date particulière. Celle de l’anniversaire de mes enfants, de la vie et de la mort aussi.

Grâce à lui, je vis en conscience de la vie !

Merci à Gaëlle pour son témoignage.

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