Apaiser les vivants en écrivant les morts

Journaliste, formatrice, réalisatrice de documentaires, Laurence Serfaty nous parle de son métier de « tisseuse de récits ».

Publié en
September
2021
Mis à jour en
May
2023
Par
inmemori
Récit
temps de lecture :
11 min
Sommaire
Apaiser les vivants en écrivant les morts
Laurence Serfaty, autrice de discours d’hommage
Crédit photo : 
Adriana Cruz

Laurence Serfaty est journaliste, formatrice en expression orale et réalisatrice de documentaires. Sa vocation l'amène à écrire récits de vie et discours d'hommage pour accompagner les décès. Elle a récemment intégré la coopérative Coopaname avec la mission, selon ses mots, de "raconter pour faire société". Elle nous parle de son parcours et de son métier de "tisseuse de récits".

Faire lien entre les vivants et leurs défunts

Laurence, vous avez réalisé en l’an 2000 le documentaire L’Adieu aux Anges sur le deuil périnatal et les “parents désenfantés”. En quoi cela a-t-il été un déclic qui vous a conduit à vous intéresser au sujet de la fin de la vie ?

Réaliser ce film a été pour moi une révélation. En faisant la connaissance des docteurs Maryse Dumoulin et Anne-Sylvie Valat, pionnières dans l’accompagnement hospitalier des "parents désenfantés", je me suis rendu compte de l’importance des rituels.

Filmer les parents en deuil m’a permis de comprendre combien la manière de faire face à un décès peut aider à préparer la vie à vivre.

Votre motivation profonde est de montrer les liens entre les défunts et les vivants. Chez InMemori, nous partageons cette conviction que les hommages et les souvenirs contribuent à renforcer ce lien. Qu'en pensez-vous ?

Les mots, les gestes et les images ont leur importance. Je salue l’initiative d’InMemori d’offrir un lieu de partage à travers les souvenirs et les photos autour du défunt. Se réunir ensemble virtuellement ou physiquement autour de la personne disparue est une clé pour commencer à faire son deuil.

“Alzheimer, jusqu’au bout la vie” est le titre d’un de vos documentaires. L’humanité et la vie à vivre malgré un événement difficile semblent être le fil rouge de votre travail. Nous avons le sentiment que vous savez trouver la juste place auprès des endeuillés. Quels conseils donneriez-vous à nos lecteurs pour les aider à trouver cette place ?

Trouver sa place légitime n’est pas évident. Je me souviens avec émotion de cette maman dont j'avais filmé les obsèques de son bébé. À la fin de la cérémonie, elle m'a prise dans ses bras et m'a remerciée du fond du cœur d'avoir été là. Je dirais... d'avoir été là pour reconnaître l'existence de la vie de son enfant et de l'avoir fixée par l'image.
Dans ce rôle de témoin, dans l'accompagnement, ce qui compte finalement, c’est d’être là et de vivre les choses ensemble. Ce qui est difficile ne doit pas être tu. Rien n’est plus aidant que de partager sa souffrance. "Le médicament de l’homme, c’est l’homme", comme le dit très bien un proverbe sénégalais.

L’écriture comme geste d’hommage

Vous vous êtes spécialisée dans les récits de vie que vous appelez "récits mémoriels". Vous vous formez à l’"autobiographie raisonnée".

Oui, cela consiste à chercher les fils conducteurs des vies pour les raconter, parce que les vies ne se résument pas à un CV. C’est là l'une de mes missions.

Vous avez également décidé d’écrire des discours évoquant le défunt.

Prendre la plume pour évoquer le défunt est un acte fort. Lorsque les familles me sollicitent pour être leur porte-parole lors de la cérémonie,

ce qui me tient le plus à cœur, c’est de parler de la façon dont le défunt est relié à ses proches présents et comment il les relie entre eux.

Aux funérailles de mon père, j’ai évoqué devant l'assemblée le plaisir partagé autour d’un repas de couscous. Des membres de ma famille m'ont rapporté ensuite s'être reconnus dans mes mots et s'être sentis soudés grâce à cette histoire qui leur rappelait des moments de convivialité avec notre être aimé disparu. Ce qui est touchant, c’est de sentir que les gens sont tous ensemble et unis.

inmemori croit en la force de l’écrit-thérapie ; les familles qualifient souvent les espaces InMemori “d’outils d’expression de leurs émotions”, de “bouffées d’oxygène”, de “cocons”. Vous qui pratiquez l’écriture au quotidien, pouvez-vous témoigner de ce que vous procure cette expérience ?

Écrire permet de se sentir en vie, d’exprimer ce que l’on ressent au plus profond de soi. En écrivant un discours, je cherche à ce qu'un moment de passage devienne un moment de partage qui ait du sens pour tous. En d'autres mots, la sincérité et l’authenticité de l’écriture font que l'on se sent appartenir à la communauté humaine.

Quels conseils pouvez-vous donner à une personne qui souhaite écrire un discours pour un être cher disparu ou un message sur un espace InMemori ?

Je crois qu’il faut penser à qui l'on s'adresse. Est-ce au défunt directement ? Est-ce à ses proches ? Pour éviter l’abstraction ou un hommage convenu, il faut penser à ces personnes individuellement et faire comme si on écrivait une lettre. Tout se joue dans la personnalisation.
Jeter sur l’écran un premier jet brut et concret, intime, avec les idées pour ne pas qu’elles se perdent, en y allant par couches successives. Fermer les yeux, se replonger dans les moments, s’autoriser à rire, ne pas se censurer. En somme, s’exprimer dans la fidélité au défunt.

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Pour contacter Laurence Serfaty : https://www.laurenceserfaty.com/

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