« Aimer la vie et la laisser faire son boulot »

Quatre ans après la mort de son fils, l’écrivain écrit leur combat douloureux et désespéré contre la maladie, la rage, le chagrin. Et la vie.

Publié en
September
2021
Mis à jour en
July
2023
Par
Valérie Péronnet
Récit
temps de lecture :
6 min
Sommaire
« Aimer la vie et la laisser faire son boulot »
Pierre Jourde, écrivain
Crédit photo : 
© Louis Canadas

Qu’est-ce qui vous a aidé, pendant la maladie de votre fils ?

Les proches, évidemment. Ceux qui ont eu le courage de rester, et de faire comme si les choses continuaient normalement. Ils étaient là, avec nous et avec Gabriel. Mais pas comme à un enterrement : comme dans la vie, avec attention et humour, dès que c’était possible.

Ça m’a aidé aussi que les médecins prennent le soin d’enrober les choses. C’est mieux. Les rares fois où ça n’a pas été le cas ont été d’une violence insoutenable et inutile.

Et enfin – mais je ne le recommande qu’aux personnes physiquement aptes ! – les sports de combat m’ont été d’un grand secours. Je pratiquais déjà la boxe, la savate françaises et la boxe de rue. Même si ça met les adversaires à rude épreuve, c’est un très bon accompagnement, et un défouloir extraordinaire qui permet de ne penser à rien d’autre.

Avez-vous eu envie et pu parler à quelqu’un, pendant cette période ?

Un peu, et pas à n’importe qui. Mais c’est surtout mon fils qui avait besoin qu’on le soutienne. Et moi, qu’on m’aide dans ce soutien en prenant le relais de temps en temps. C’était très important de savoir qu’il était entouré. Et ça s’est fait naturellement.

Le temps s’était suspendu. Nous ne savions plus ce que nous vivions, comme si la réalité avait, pour une durée indéterminée, consenti à s’alléger de tout son poids d’impératifs et de lois, jusqu’à s’effacer.

Et après, une fois qu’il n’était plus là ?

Après, c’est très, très difficile… L’important c’est de ne pas s’enfermer là-dedans. Certains n’arrivent pas à repartir dans la vie, c’est terrible. C’est pourtant la seule chose à faire je pense : aller vers la vie, la famille, les amis, le travail. À fond, pour que ça continue. C’est la seule solution.


C’est ainsi que vous vous êtes lancé immédiatement dans l’écriture de Winter is coming(1), qui raconte les derniers mois de Gazou ?

Je ne l’ai commencé que deux ans après, le temps de reprendre mon souffle. Mais j’ai su tout de suite que j’allais l’écrire. Pourque sa mémoire soit vivante. Tous les gens qui meurent n’ont pas ça… Moi, je suis écrivain, j’ai cette possibilité de parler d’eux dans mes livres. Le deuil, c’est quelque chose qui doit rester dans la vie. Il faut parvenir à ne pas le taire, mais sans s’appesantir. J’ai été très touché par le livre de Jean-Marie Laclavetine, qui raconte comment, chez lui, la mort de sa sœur a été occultée pendant des années, au point qu’on la présentait, sur les photos,comme «une amie de la famille»(2).

Rien ne pourra empêcher que tu aies été. Et que, par conséquent, tu es encore. Osciller pour toujours entre ces deux pensées.

"Winter is coming", je l’ai écrit pour moi, et pour mon fils, sans trop me demander pourquoi infliger cette douleur à d’autres. Je sais que des gens l’ont beaucoup aimé. Moi, je n’ai rien à en dire ; il est trop intime. La mort des enfants et des jeunes, le deuil d’un fils, personne n’a envie d’en parler. Alors on n’en parle pas. Moi, depuis Gabriel, j’y fais plus attention.

Que pouvez-vous dire de « la vie d’après » à ceux qui vivent la perte d'un enfant ?

Je dirais qu’il faut aimer la vie et la laisser faire son boulot. Sans impasse ni déni. Pour moi, toute la difficulté a été d’arriver à intégrer Gabriel dans la vie sans tomber dans la déploration permanente.

Mais vivent aussi, dans ce monde qui n’a pas voulu de toi, des jeunes filles lumineuses, des garçons délicats, des adolescents tendres, des rêveurs, des artistes, des candides. Leur fragilité émeut, qui se révèle tout à coup par ta disparition, et comme une source fraîche étanche un peu la rage.

Ensemble - les deux frères de Gabriel, ma femme, nos proches - nous nous sommes efforcés de continuer à vivre normalement. En s’entourant de jeunesse. Et en acceptant aussi la douleur. Elle arrive par accès, imprévisible. Elle vous laisse tranquille pendant des semaines, et puis tout à coup tout se réveille et vous terrasse. Il n’y a rien à faire. À part, si c’est trop dur, se faire aider par des substances chimiques – pourquoi faudrait-il s’en passer ?

Pour le reste, la vie reprend, et c’est possible. L’absence est une cruauté qui ne s’éteint pas, mais on peut vivre avec. Et ça n’empêche pas d’être heureux.


Kid Atlaas Hommage

De toutes les compositions de Gabriel Jourde, un talentueux musicien qui commençait à se faire connaître sous le nom de Kid Atlaas, Winter is Coming sa musique la plus écoutée et la plus populaire.


(1) Winter is coming, dont sont extraites toutes les citations, est paru chez Gallimard en 2017, et en poche chez Folio en 2018.

(2) Une amie de la famille, de Jean-Marie Laclavetine, Gallimard 2019.

Abonnez-vous à la newsletter
Merci !
Votre email a bien été enregistré !
Oops! Something went wrong while submitting the form.