Le rituel numérique pour rendre hommage
Fiorenza, en quoi les rituels de commémoration en ligne sont-ils des compléments bénéfiques aux rites en présentiel ?
Depuis la moitié des années 1990, se développent des commémorations en ligne très diversifiées, par exemple les cimetières virtuels, qui au début ressemblaient à des jeux vidéos, ensuite les pages web personnelles, et actuellement les réseaux sociaux ou encore YouTube. Dans le cadre de la commémoration, le rituel numérique devient donc aussi un outil de communication indispensable qui permet au groupe des proches, à la famille, d’exprimer leur deuil. Sans pour autant l’effacer, une nouvelle place est ainsi donnée à la personne disparue ; celle de la mémoire.
À Bergame (Italie), durant la première vague de la pandémie en mars-avril 2020 où les cérémonies n’ont pu avoir lieu, le journal quotidien L’Eco di Bergamo a donné la possibilité aux proches des défunts de poster sur le web, dans une rubrique dédiée, des photos, des mots d’hommage. Dans un élan commun, des milliers de personnes se sont saisies de cette solution proposée au pied levé.
Pourquoi d’après vous le numérique est-il un terrain propice au rituel de commémoration ?
Notre société moderne ne facilite pas l’intériorisation de la perte. Pourtant, nous avons besoin lors d’un décès, de communiquer, et de partager notre douleur afin de la transformer en mémoire.
Pour faire face à ces moments sans doute les plus difficiles de la vie humaine, le numérique peut favoriser la rencontre des états d'âme, le partage des émotions du deuil, autant que le souvenir.
Se retrouver ensemble dans le deuil répond aussi à la nécessité - à ce moment spécifique - de commémorer cette personne qui manque à notre vie.
Par ailleurs, dire et écrire le deuil sont des formes de rituels qui existent depuis toujours. L’outil numérique permet, comme en témoignent plusieurs recherches*, de multiplier les possibilités de nous exprimer, notamment sur des espaces protégés, comme ceux d’InMemori. En ce sens, des sites comme InMemori favorisent non seulement l’expression au moment des obsèques, mais aussi permettent de manifester sur un temps long les émotions que la perte provoque, ce qui rend possible pour chacun l’élaboration de son deuil.
Dans quelle mesure le numérique permet-il de faire vivre la mémoire d'un proche et de la conserver ?
L’analyse des outils de commémoration en ligne révèle d’une part, le besoin manifeste des endeuillés de mettre en mots leur propre deuil, de l’autre, l’éventail des possibilités de le faire. Dans mon livre Mémoire et immortalité aux temps du numérique, je mentionne l’importance de recourir à une “écriture du deuil” et j’explique la valeur de ces formes de narration du deuil.
Je crois en effet que le numérique peut devenir un espace réel sur lequel nous pouvons garder un lien fort avec la personne disparue, un lien qui fait du bien.
En rétablissant un équilibre personnel par rapport à la perte vécue, c’est-à-dire une juste distance vis-à-vis du défunt, le lien recréé peut aider à continuer à vivre.
La personnalisation au centre des rituels en ligne
La personnalisation est-elle une caractéristique centrale des rituels numériques ?
De nos jours, nous avons la possibilité de personnaliser plusieurs aspects de notre vie et notamment notre besoin de rendre hommage aux personnes qui nous quittent.
La commémoration en ligne du défunt permet de respecter les temps personnels et les modalités d’expression du deuil de chacun ; le souvenir du défunt vient ainsi s’enrichir de la gratitude ou de la reconnaissance exprimée pour sa vie vécue.
Grâce au numérique, chacun est libre de suivre son besoin personnel de deuil et de commémoration, de choisir le moyen par lequel il se souviendra avec considération de son proche défunt. Dans cette perspective, InMemori représente un espace de commémoration en ligne respectueux et propice au recueillement personnalisé.
Quel rôle le partage de photos joue-t-il dans le recueillement en ligne ?
Il est très intéressant d’observer l'usage des images sur les espaces commémoratifs et leur impact. Y déposer des photos, c’est peut-être là un geste très fort de proximité et un geste très direct aussi du point de vue de la participation émotionnelle.
Les images déposées dans ce contexte communiquent les émotions, non seulement pour celles et ceux qui les regardent, mais aussi pour celles et ceux qui les partagent.
Les photos du défunt dans son quotidien ne sont pas partagées seulement comme un témoignage ; elles sont vraiment un lien entre le disparu, sa famille, et la personne qui les sélectionne.
L’image étant une voie privilégiée d’expression et de perception des émotions, le travail du deuil peut, dans certains cas, s’accomplir plus facilement par ces souvenirs visuels.