Deuil

XXmin

Deuil périnatal : des rituels pour apprivoiser l'absence

Françoise Debois a connu l’immense chagrin de perdre sa petite fille quelques jours après sa naissance. Elle anime désormais des groupes d’entraide au sein de l’association Spama1 et forme des bénévoles. Elle nous éclaire sur le deuil périnatal et la force des rituels pour traverser ce deuil complexe.

Le deuil périnatal, un tsunami pour les parents

Pourquoi le deuil périnatal est-il si particulier ?

Françoise Debois : C'est un deuil violent et très douloureux, particulièrement complexe et difficile à traverser pour les parents qui le vivent. Et il n’est pas facile à comprendre quand on ne l’a pas vécu soi-même.

Perdre son bébé est un véritable tsunami pour les parents : c’est impensable qu’un bébé puisse mourir, c’est une inversion des générations qui n’est pas dans l’ordre des choses. C'est l'effraction de la mort à un moment et dans un lieu – la maternité – où on ne l’attend pas, où personne ne peut s’y préparer.

Et puis derrière cet enfant, il faut comprendre qu’il y avait aussi tout un projet de vie et un projet de famille qui volent en éclats. La vie n’a soudain plus aucun sens pour ces parents. Ils sont confrontés au deuil d'une vie qui n'a pas pu s’accomplir, et au deuil de tous les rêves qu’ils portaient pour leur bébé : la réalité de ces pertes multiples se construit violemment au fur et à mesure qu’on se confronte à tout ce qui ne se vivra pas avec son enfant. Cela commence au retour à la maison avec les bras et le berceau vides. Et puis il n’y aura pas le premier biberon, ni les premiers babillages, ni les premiers pas, ni les premiers anniversaires.

C’est pour cela que c’est un deuil très lent : deux ans ou dix ans après le décès, une mère peut s’effondrer en croisant une poussette, en entendant le prénom, lors d’une fête de famille ou le jour de la rentrée des classes : tout d’un coup, l’absence de cet enfant résonne plus fort et réactive une souffrance aiguë qui ne nous quitte jamais totalement.

Les parents sont projetés dans une douleur qui dure et qui est souvent difficile à mettre en mots et à partager : comment parler de cette absence si particulière ? Comment parler de ce bébé qu’on a si peu connu et dont on a si peu de traces ?

Justement, quels souvenirs garder de ce bébé ?

Quand tout est allé si vite, quand on a eu si peu de temps avec son bébé, toutes les traces du passage de cet enfant dans la vie vont être très précieuses pour construire son deuil.

Françoise Debois : Souvent des photos sont prises à la maternité, ça participe bien sûr à sa reconnaissance, et certains parents disent que cela leur a permis de présenter leur enfant. Mais c’est aussi essentiel pour les parents eux-mêmes qui ont peur d’oublier le visage de leur bébé qu’ils auront vu si peu de temps.

Notre association a créé un coffret remis par les soignants dans les maternités pour justement recueillir des petits objets symboliques : le bracelet de naissance ou le bonnet. Quand le bébé a été installé en couveuse, ça peut être l’étiquette de son prénom, son carnet de santé, et puis les parents pourront y ajouter un doudou, des empreintes des pieds ou des mains. D’autres auront envie d’y mettre une échographie ou des photos du gros ventre, notamment quand le bébé est décédé tôt pendant la grossesse.

L’idée ? Garder des points d’ancrage pour se souvenir de leur bébé, faire sa place à cet enfant parti trop tôt et l’inscrire dans l’histoire de la famille. C’est ainsi que les choses vont retrouver une forme d'ordre là où il n'y avait plus aucun sens. Il sera très important pour la plupart des parents de lui donner un prénom et de le faire figurer dans le livret de famille. C’est désormais possible de le demander, même si le bébé est né sans vie, à partir de la quinzième semaine d’aménorrhée. 

Voir son bébé décédé peut-il parfois aider à lui dire au revoir ?

Françoise Debois : Les professionnels de santé proposent aux parents de voir leur bébé décédé et chaque parent fait en fonction de ses capacités à ce moment-là. Pour ces parents qui découvrent parfois leur enfant pour la première fois, et qui se préparent à ne plus jamais le voir, cette rencontre est un moment de tendresse et d’amour, d’une intensité très forte. C’est un temps suspendu, tellement précieux.

Certains prennent leur enfant dans les bras, d’autres préfèrent l’apercevoir de loin, d’autres choisissent de ne pas le voir : chacun fait comme il peut et personne n’a à le juger. 

C'est aux professionnels d’accompagner les parents, d’en discuter avec eux et de leur laisser du temps pour discerner ce qui fera sens pour eux.

Quelles cérémonies et sépultures sont possibles ?

Françoise Debois : Beaucoup de choses vont dépendre de l’âge du bébé et des circonstances du décès, en lien avec la législation qui est très précise à ce sujet. Mais dans tous les cas, c’est aux parents de réfléchir au devenir du corps en lien avec cette législation, et de décider s’ils veulent faire une cérémonie ou pas. Les parents le disent très bien : on aura tellement peu de choses à décider pour notre enfant qu’il faut qu’on puisse prendre seuls ces décisions-là, pour notre enfant.

Une sépulture ou une incinération ? Il peut être proposé dans certains cas une crémation collective organisée par l’hôpital, et les cendres seront dispersées dans un jardin du souvenir dédié aux enfants au cimetière. Les décisions à prendre sur le devenir du corps et le lieu de sépulture ne sont pas anodines : c’est avoir par la suite la possibilité de se recueillir à un endroit qu’on aura choisi ou dans un lieu symbolique qui fait sens pour soi.

Parfois, la douleur va être tellement importante qu’ils ne peuvent organiser les funérailles, mais il n'est jamais trop tard pour rendre hommage à son enfant. Ils pourront décider d'une célébration à l'occasion d'un anniversaire par exemple, faire s’envoler un lampion, des ballons ou des cerfs-volants.

Chacun peut en toute liberté imaginer la cérémonie qui lui correspond ?

Françoise Debois : C’est à chacun de définir la façon dont il a envie de parler de son enfant et de lui rendre hommage : ça peut être par des mots mais aussi par des symboles.  

Comment l’habiller ou le langer ? Une maman avait voulu qu’il parte avec son plus joli foulard, d’autres avec un lange de famille. Que veut-on mettre dans le cercueil ? Cela peut être un doudou, un poème, des dessins de la fratrie ou un objet de famille.

Ces parents qui étaient en train d'acheter un berceau ou de penser layette ne se sont jamais projetés sur la mort et sur ce qu’ils feraient… C’est dur mais si on leur laisse du temps, ils vont y arriver et peuvent alors être très créatifs et retrouver ainsi une certaine fierté à poser des gestes d’hommage pour leur enfant.

Des couples ont témoigné qu’un ami était venu jouer de la guitare à la cérémonie, certains ont demandé au parrain et à la marraine de porter le cercueil. Et puis, il y aussi le choix des textes et des musiques, il y a beaucoup de petites choses très personnelles qui peuvent être imaginées… Cela peut être aussi des gestes symboliques qui arriveront plus tard : un papa a ainsi convoqué ses frères et ses amis pour maçonner la tombe de l'enfant, des parents ont planté un arbre…

Certains parents ont envie de réunir leurs proches pour cette célébration, mais d’autres préfèreront vivre quelque chose de beaucoup plus intime, en couple.

La force des rituels pour traverser le deuil périnatal

A quoi servent les rituels ?

Françoise Debois : Les rites de l’adieu au corps et des funérailles sont très importants pour marquer symboliquement la séparation avec son bébé, pouvoir lui rendre hommage à sa façon, et être entouré et soutenu par l’entourage. Mais quand on perd son bébé, quand on a eu si peu de temps avec lui, voire seulement in utero, ces rites classiques vont être très insuffisants pour soutenir les parents dans l’épreuve qu’ils traversent et dans la durée.

C’est pourquoi des rituels personnels vont avoir un rôle essentiel au quotidien pour apprivoiser cette absence si douloureuse. Cela peut prendre la forme d’actions très concrètes ou plus symboliques pour leur bébé, pour se sentir relié à lui, lui consacrer du temps et lui faire une place.

Il n’y a pas de règles pour ces rituels ni leur fréquence : qu’est-ce qui résonne pour eux ? Aller tous les jours au cimetière, allumer une bougie, planter des fleurs ou un arbre, rédiger un faire-part, écrire son histoire, lui écrire des lettres, aller marcher en pensant à lui, caresser les petits habits ou le doudou… : prendre ces moments pour son enfant, laisser couler ses larmes et ressentir son amour pour lui, vont aider les parents à exprimer leur chagrin et leur amour, et à trouver en eux la force de supporter le rythme effréné de la vie.

C’est quelque chose d’important à comprendre, pour les parents et pour l’entourage, pour qu’ils s’autorisent ces rituels personnels, de façon régulière et dans la durée, sans jugement. Cela n’a rien de morbide ni de pathologique, même plusieurs années après. Car c’est le paradoxe du deuil périnatal : l'expression des liens d'attachement avec son bébé permet de construire une présence intérieure solide dans son cœur et d’avancer dans son deuil, pour continuer dans la vie. Prendre ce temps et poser ces gestes symboliques leur permet de s'autoriser à être vivant alors que leur enfant est mort.

Petit à petit, ces rituels remplissent cette sensation de bras vides et de cœur arraché. On s’autorise à être la maman et le papa de ce bébé disparu, d'une autre façon mais à notre façon.

On va continuer à l’aimer et il continuera à nous manquer tout au long de la vie, mais de façon un peu moins douloureuse.

Comment accompagner ces parents endeuillés ?

On sait que l’entourage est souvent perdu, parfois maladroit, et ignore comment évoquer cet enfant, quitte à se taire. Pourquoi est-ce si important justement d’en parler ?

Françoise Debois : La douleur est si importante que les parents ont longtemps peur de ne jamais s’en relever : on se dit qu’on ne sera plus jamais heureux. Ils apprécient de rencontrer d’autres parents dans des groupes de parole, car ils ont le sentiment de ne pas être aussi bien compris par l’entourage, souvent démuni, qui craint de réactiver leur chagrin et de leur faire penser à ce bébé.

La réalité ? Ils y pensent, ils n’oublieront jamais, et c’est ce silence assourdissant qui va accentuer leur souffrance. Ils ont besoin et envie de pouvoir parler librement de leur enfant quand ils le souhaitent, même si les larmes coulent. Ils ont besoin que leur enfant continue à être évoqué, qu’il ait sa place dans la famille comme les autres défunts, parce qu’ils sont bien parents en deuil de cet enfant pour le reste de leur vie.

Car le deuil périnatal n’échappe pas au processus de deuil : pouvoir nommer la personne décédée, pouvoir raconter sa vie et sa mort, partager son chagrin et la façon dont il nous manque, tout au long de notre vie sans lui.

La violence du chagrin finit par s'apaiser si on a pu évoquer son bébé aussi longtemps que nécessaire et si on a été accompagné dans cette souffrance... Cette violence se transforme en une douce peine où l'amour que l'on porte à son bébé est bien l'élément le plus fort, et non plus son absence qui fait si mal.

Comment accompagner ces parents qui vivent un deuil périnatal ?

Françoise Debois : L’entourage doit déjà accepter l'idée que la souffrance peut être immense et qu’on n’y peut pas grand-chose. Il faut vraiment se garder de toute comparaison. On peut dire que leur peine nous touche et, à défaut de les comprendre, peut-être qu'on peut tout simplement les écouter et leur offrir cet espace : « Parle-moi de ton bébé, qu’est-ce qui s’est passé ? »

Accepter de les entendre parler de leur bébé et de les voir pleurer est un immense cadeau.

C’est également prendre des nouvelles régulièrement et évoquer souvent le prénom de leur bébé. Parfois, il y aura des silences, mais il faut renouveler sa présence. On peut aussi proposer son aide à ces parents épuisés par la violence mais également par la durée du chagrin : gérer les repas, faire les courses ou, s'il y a des enfants dans la fratrie, aller les chercher à l'école, s’en occuper un après-midi ou les prendre une nuit.

Il ne faut pas hésiter à leur demander régulièrement leur avis et leur ouvrir un espace de liberté qui accueille, qui écoute, sans jugement : « Comment te sens tu aujourd’hui ? », « Aujourd’hui, qu’est-ce qui te ferait plaisir ? Est-ce que tu as envie qu’on parle de ton bébé (en citant son prénom) ? » Les parents vont être dans une ambivalence permanente : ils vont parfois avoir besoin de légèreté et, à d’autres moments, être meurtris si on n’en parle pas.

A l’approche des fêtes de famille, interrogez-les sur leurs envies. Il y a des parents pour qui c’est trop difficile de venir. D’autres auront envie d’être là mais veulent s’assurer qu’ils peuvent parler de leur bébé et ne pas avoir à se cacher s’ils pleurent. Certains souhaitent qu’on fasse quelque chose de symbolique pour ce bébé : allumer une petite bougie ou mettre un objet dans le sapin de Noël.

Et si on est un soignant ?

Les soignants sont les premiers témoins de la réalité de cette naissance, même si le bébé est déjà décédé. Il y a le besoin de tisser une alliance avec les parents autour de ce bébé, le tout avec beaucoup d'humanité car ils sont très touchés par ce qui se passe.

Ils ont aussi pour responsabilité de prendre le relais des parents quand ces derniers ne sont pas en capacité médicale ou psychologique. C'est très réconfortant de savoir qu’on a pris soin de notre bébé, que sa fin de vie a été digne, qu’on a pris des photos.

Ils doivent aussi savoir s'effacer et laisser autant que possible les décisions aux parents, dans ce temps si court auprès de leur enfant, avant de le laisser partir.

1 www.association-spama.com
Informations et ressources pour les parents, les soignants et l'entourage.
Forum en ligne, groupes d'entraides partout en France.
Écoute téléphonique tous les matins du lundi au vendredi : 07 87 85 37 81.

Lire aussi : Le témoignage de Gaëlle : « J'ai accouché dans le cri de la vie et le silence de la mort »

Écouter : Le quinzième épisode du podcast « Mortel » de Taous Merakchi : « Mourir sans avoir vécu »